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Le réséda n'a pas d'odeur
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22 septembre 2007

Depuis qu'elle est morte

Je n'ai rien écrit depuis qu'elle est morte, rien, hormis quelques gribouillis épars, et une lettre d'amour au mois de juillet, envoyée à cet homme qui m'aima une nuit entière dans un palace. Hier, premier jour de l'automne, je reprends espoir, j'ose encore croire que la vie sera belle, même si, depuis qu'elle est morte, je suis seul comme jamais. J'ai tondu très court mes cheveux et rasé ma barbe, en signes de renouveau ; la peau nue du visage laisse apparaître le squelette de ma tête, l'os du crâne sous le cuir chevelu, la mâchoire dessinée sous les joues, les reliefs du cadavre que je serai un jour. Il y avait avant, il y a un après, cela s'appelle un événement. Elle n'est plus là pour me voir, je ne sentirai plus son odeur, la chaleur de son corps, je n'entendrai plus le timbre de sa voix, les histoires qu'elle racontait, ses réponses à mes questions ; c'est fini, plus jamais, elle est morte. L'amour qu'elle avait était inconditionnel. On a vendu son appartement à un étranger, on a jeté ses vêtements, partagé son mobilier, dispersé ses affaires, fouillé dans ses papiers, on a pleuré, on a bu du thé, on a enterré ses restes. Une fois pour toutes. Maintenant qu'elle est morte j'éprouve l'injustice pour la première fois ; je ne me résigne pas à l'absence définitive, au vide incompressible que la mort a creusé. Ce n'est pas que du chagrin ou de la peine, c'est autre chose, c'est une douleur viscérale, c'est-à-dire qui prends aux tripes, et irradie du bide en vrac jusqu'au cerveau. Je constate qu'elle est morte, je constate aussi que je suis vivant, voilà ce qui fait scandale : entre elle et moi plus aucun possible. L'homme peut beaucoup pour l'homme, mais rien pour les macchabées. J'ai donné de mon mieux à cette femme quand elle était humaine, avant que la pourriture ne travaille sa chair, puis que ses ossements s'érodent peu à peu en poussière. Mes souvenirs d'elle n'intéressent que moi, je n'invoquerai pas son fantôme, sa mémoire. Peu importe que ce fut ma grand-mère, elle est morte désormais.

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